Page:Gautier - Isoline et la Fleur Serpent, Charavay frères, 1882.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
ISOLINE

— C’est vrai, je suis folle, dit-elle, n’y pensons plus. »

Elle leva les yeux qu’elle tenait baissés avec un peu d’embarras.

— « Voyez voyez, tous ces corbeaux, les seuls seigneurs du castel aujourd’hui ! Qu’est-ce qu’ils croassent de ces voix affreuses ? Peut-être ils se souviennent des festins d’autrefois, car il y eut ici en effet d’horribles carnages, et la terre où nous sommes a bu bien du sang ; on dit qu’il en coula jusqu’à la Rance, dont les eaux furent rougies. C’était du sang anglais.

— Ou celui de quelques seigneurs voisins. On s’entr’égorgeait facilement entre frères pour un bout de terre ou une querelle futile.

— Il ne faut pas médire des héros, reprit-elle. Duguesclin a été gouverneur de cette forteresse.

— Il était fort laid, le bon chevalier.

— Ce qui ne l’a pas empêché d’être aimé par la plus belle des damoiselles.

— Ah ! laissons les morts en paix, s’écria Gilbert, nous vivons et nous sommes jeunes, n’écartons pas les fleurs qui nous voilent les tombes. Est-ce donc là le printemps que vous m’aviez promis ? un vaste cimetière et de vains regrets ?