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ISOLINE

Et elle s’assit résolument à table.

Ils obtinrent une omelette exquise ; mais, à partir de là le menu fut assez vague. Ils s’en aperçurent à peine ; Isoline était grisée par ce plaisir, tout nouveau pour elle, d’un repas partagé ; les mille soins dont Gilbert l’entourait, ce regard, que l’habitude du commandement faisait si dominateur, se fondant en tendresse lorsqu’il se posait sur elle, lui causait une impression bienfaisante. Ils se parlaient avec une confiance croissante, se racontant leur existence, comparant leur dure solitude et trouvant qu’en bien des points ils se ressemblaient ; c’était cela qui expliquait la sympathie et pourquoi si spontanément elle l’avait salué son frère.

Frère ! ce nom déplaisait au jeune homme, jamais il ne verrait une sœur en elle. Elle était le rêve, le bonheur parfait ou le mortel désespoir, mais non l’amitié tranquille et fraternelle.

Il n’osait parler d’amour cependant ; ces yeux purs, cette virginale gravité, lui figeaient sur les lèvres les mots de passion égoïste. Il craignait d’éclairer cette innocence téméraire qui se confiait si naïvement à un inconnu et ne soupçonnait aucun mal, là où toute autre se fût jugée perdue. Il