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L’ORIENT.

l’Europe ; puis au casino, où ils prennent des glaces, assis tranquillement devant de petites tables, parqués chacun dans leur café respectif : les nobles avec les nobles, les courtiers avec les courtiers, les juifs avec les juifs, les retirate (femmes sur le retour) avec les retirate, les fringantes (femmes à la mode) avec les fringantes, ainsi de suite ; car, à Venise, les classes ne se confondent pas. Tout ce monde attend le jour pour rentrer chez soi et se coucher. Les Italiens n’ont pas le sentiment du foyer ; ils ne comprennent pas le bonheur de la maison ; ils vivent entièrement dehors.

Les anciens nobles végètent obscurément dans quelque coin de leur palais, sous les combles, mangeant du macaroni au fromage avec leurs valets, à demi vêtus de guenilles pour ménager leurs habits neufs, ne lisant pas, ne s’occupant de rien. Chaque femme, comme dans tout le reste de l’Italie, a son cicisbeo ou patito qui l’accompagne a la messe, à l’Opéra, au casino ; cela au vu et au su de son mari, qui ne s’en inquiète