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L’INDE.

mystérieuse contrée où ont pris naissance, à des époques qui se perdent dans la nuit des temps et qui déconcertent toute chronologie, les théogonies, les civilisations, les sciences, les arts, les langues dont les nôtres ne sont que les effluves et les dégénérescences. Quand l’Égypte commençait, l’Inde était déjà vieille. La Grèce n’avait encore pour habitants que des sauvages tatoués comme les Ioways et les Mohicans ; ceux qui furent plus tard les Athéniens étaient cannibales. Là, bien avant le déluge, bien avant les règnes fabuleux de Chronos et de Xixuthros, quand la terre, jeune encore, s’épanchait en créations dithyrambiques et monstrueuses, comme un poëte adolescent qui jette ses scories en strophes démesurées, régnait, dans une nature d’une exubérance folle, un panthéisme effréné. Onze millions de dieux fourmillaient à travers les inextricables enlacements des forêts vierges, effrayants et difformes comme toutes ces races d’animaux disparus dont l’éléphant, le rhinocéros, la girafe, le chameau, l’hippopotame, le crocodile sont les avortons, et