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LE DANUBE.

« L’un d’eux, tenant son violon, jouait à la lueur des derniers rayons du soleil un air plein de feu.

« L’autre fumait sa pipe et, aussi tranquille que s’il ne lui eût rien manqué sur la terre, regardait sa fumée se disperser mollement dans les airs.

« Le troisième dormait nonchalamment ; sa cymbale était suspendue à un arbre au-dessus de sa tête. Le vent jouait à travers son instrument, et un rêve ineffable charmait son âme.

« Cependant leurs vêtements n’étaient que des haillons mal assortis ; mais, dans l’ivresse de leur indépendance, ils narguaient la misère ainsi que l’injustice du sort.

« Ils m’ont enseigné trois fois comment, si le sort nous trahit, on peut le mépriser trois fois en fumant, en jouant et en donnant.

« J’ai longtemps penché la tête hors de la voiture pour contempler ces Bohémiens, dont les visages bruns, les longues boucles de cheveux noirs sont encore présents à ma pensée ! »