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L’ORIENT.

que de cette voix ; c’est bien l’initiée secouée de sa contemplation religieuse par une réalité violente et qui fixe sur les choses les yeux étonnés du rêve ; mais bientôt la femme se réveille et parle à chacun le langage de la patrie. Le Libyen Mathô, le roi des Numides Narr’Havas, dévorent la jeune vierge d’un œil ardent. Elle verse du vin dans la coupe de Mathô, et Narr’Havas, furieux, perce d’un javelot le bras du Libyen sans armes qui lui jette à la tête une table toute chargée de vaisselles et d’amphores. Pendant le tumulte, la fille d’Hamilcar remonte par l’escalier d’ébène jusqu’à la dernière terrasse du palais, et la porte noire à croix rouge de son appartement se referme derrière elle.

Les Mercenaires, dans la prostration qui suit l’orgie, commencent à avoir peur de leur œuvre. Ils se sentent seuls sur cette rive étrangère et comme enfermés au milieu d’un cercle de haine. Cette Carthage silencieuse qui sommeille encore à leurs pieds et que bleuissent les premières lueurs de l’aube les effraye malgré eux. Son calme même a