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LE SAHARA.

« Ceci n’était pas du Delacroix ; toute couleur avait disparu pour ne laisser voir qu’un dessin tantôt estompé d’ombres confuses, tantôt rayé de larges traits de lumière, avec une fantaisie, une audace, une furie d’effet sans pareilles, — c’était quelque chose comme la Ronde de nuit de Rembrandt, ou plutôt comme une de ses eaux-fortes inachevées, des têtes coiffées de blanc, et comme enlevées à vif d’un revers de burin, des bras sans corps ; des mains mobiles, dont on ne voyait pas les bras, des yeux luisants et des dents blanches au milieu de visages presque invisibles, la moitié d’un vêtement attaqué tout à coup en lumière et dont le reste n’existait pas, émergeaient au hasard et avec d’effrayants caprices d’une ombre opaque et noire comme de l’encre. Le son étourdissant des flûtes sortait, on ne voyait pas d’où, et quatre tambourins de peau qui se montraient, à l’endroit le plus éclairé du cercle, comme de grands disques dorés, semblaient s’agiter et retentir d’eux-mêmes. En dehors de cette scène étrange on ne voyait ni bivouac, ni ciel ni terre ; au-