Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xciv
INTRODUCTION

le remaniement est inférieur au texte original : il s’y fallait attendre. Voici que, pour un couplet nouveau en ie, il faut modifier le texte primitif : Si vengez cels que li fels fist ocire[1]. Le remanieur n’hésite pas, et produit cette insigne cheville : Si vengez cels cui joie il a fenie[2]. Voilà qu’il s’agit de faire entrer dans une laisse en a ce vers très-simple : Li reis Marsilies est mult mis enemis[3]. Rien de plus aisé : Marsilions ainc gaires ne nos ama[4]. Au lieu de : Cunseill d’orguill n’est dreiz que à plus munt[5], nous aurons cette platitude : Conseil d’orguel ne vaut mie un boton[6]. Certains couplets sont ainsi modifiés fort exactement vers par vers, sans additions réelles ni suppressions aucunes… Mais notre lecteur a maintenant la clef de ce système, et pourrait au besoin se faire lui-même rajeunisseur de Chansons de geste. Encore un coup, tout vient de la rime, que l’on préfére à l’assonance.

Toutefois, la besogne n’est pas toujours aussi simple, et l’on ne peut pas toujours remplacer aisément un vers assonancé par un vers, par un seul vers rimé. Le remanieur, en ce cas qui est assez fréquent, ne craint pas de se dévouer et, plein de zèle, met deux vers et même trois à la place d’un seul. C’est là son troisième travail, qui lui est, comme le précédent, commandé par une nécessité impérieuse. Il s’agit, par exemple, de traduire, dans un nouveau couplet en a, ce vers du texte original : Voet par ostages, ço dist li Sarrazins[7]. En un vers, la chose est difficile, presque impossible. Le rajeunisseur n’est pas long à prendre son parti, et nous offre ces deux vers : Dist li Païens : « Sire, ben le fera — Par bons ostages que il vos enverra[8]. » Autre exemple, et ils abondent. Nous lisons ce vers

  1. Oxford, v. 213.
  2. Versailles, v. 254.
  3. Oxford, v. 144.
  4. Versailles, v. 170.
  5. Oxford, v. 228.
  6. Versailles, v. 268.
  7. Oxford, v. 145.
  8. Versailles, v. 173-174.