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NOTES ET VARIANTES, VERS 2295

ceux qui sont à des noces. — Ils s’appelaient tous enfants de Dieu ; ils méprisaient le monde ; — ils offraient le sacrifice pur — en prenant sur eux la croix. — Ils s’avançaient rapidement vers la mort, — ils achetaient le royaume de Dieu. — Ils ne voulaient pas se faire défaut l’un à l’autre : — ce qui semblait bon à l’un, — c’était le sentiment de tous. — David psalmista — a écrit d’eux en cet endroit : — « Combien Dieu mon Seigneur les récompense, — ceux qui sont fraternels avec les autres ; — il leur donne lui-même sa bénédiction, — et ils vivront toujours joyeux. » — Une confiance et un amour, — une foi et une espérance, — une fidélité était en eux tous ; — aucun d’eux ne faisait défaut à l’autre ; — la même vérité était en eux tous, — et c’est de quoi se réjouit la chrétienté tout entière. (Ruolandes Liet, édit. W. Grimm, pp. 120-123. ═ À ce morceau se rapporte la min. n° 15, ou la Communion.)


II. Alors arriva le roi Cursabile, — monté sur son cheval, — sous un heaume brillant. — Douze mille de ses héros — chevauchaient après leur seigneur ; — ils brillaient tous comme les étoiles, — d’or et de pierreries : — c’étaient de hardis païens. — Le roi était noblement armé ; — il s’élança loin de sa troupe, — sur le champ raboteux ; — il n’attendit guère, — avant de trouver Turpin. — Alors il cria, au-dessus du bord de son écu : — « Es-tu ici, Turpin ? — Tu dois être bien sûr — que, si l’on me donnait ton poids d’or, — je ne le prendrais pas pour ne pas t’avoir vu. — Tu m’as causé beaucoup de douleurs : — où pourrais-tu sur cette terre — jamais mieux mourir ? — Je suis un roi très-puissant. — Maintenant, guerrier, pousse ta lance contre moi. — Oui, je suis un des plus riches rois — que le soleil ait jamais éclairés. — J’emporterai aujourd’hui ta tête — pour plaire à Mahomet et pour honorer ma race, — afin qu’on chante toujours ma louange. »

Alors dit l’évêque Turpin : — « Le saint Christ sera l’arbitre, — Celui qui est mon Sauveur, — dont tu es l’ennemi — et dont je suis le serviteur. — Un autre homme aura ton royaume ; — ton écu est bien mince ; — bien faible est ta brogne ; — ton heaume gemmé, si brillant, — ne pourra aujourd’hui te servir à rien ; — la mort est bien près de toi — et les Diables t’attendent là-bas. » — Il poussa le cheval des éperons, — il perça Cursabile à travers l’écu et l’arçon, — droit à travers le corps ; — il retira la lance avec force, — il le frappa sur la coiffe du heaume, — et la lui brisa en morceaux : — Cursabile tomba mort, — et les chrétiens crièrent : Monsoy ! Monsoy !

Turpin et les siens — s’avancèrent courroucés — vers la troupe épaisse ; — ils rendirent blême — plus d’un homme hardi. — Le feu jaillissait de l’acier ; — là tombaient sans cesse — les morts sur les blessés ;