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NOTES ET VARIANTES, VERS 3735

cause meilleure, s’écrie avec une belle fierté : « Ne plaise à Dieu ! je veux soutenir toute ma parenté. Pour aucun homme vivant je ne renoncerai à ce combat. Mieux vaut mourir que d’encourir un tel reproche. » (Vers 3892 et suiv.) Et ils se précipitent de nouveau dans la fureur d’une lutte qui ne peut se terminer « sans homme mort ». On connaît, d’ailleurs, la fin de ce combat. Thierry tue Pinabel, et les trente otages de Ganelon sont pendus. Ce terrible châtiment infligé à la famille du traître et à ses otages ne se retrouve pas dans les lois barbares, bien qu’il soit entièrement dans leur esprit. Le principe de la solidarité de la famille est un principe absolument germain, et la coutume des pleiges ou garants vient certainement de la même source. Mais, encore une fois, un châtiment aussi cruel ne se retrouve dans aucune législation : on ne tue pas ainsi trente hommes judiciairement. Il s’agit donc ici d’une pénalité extraordinaire, parce qu’il s’agit d’un crime extraordinaire. Charles appelle ses comtes et ses ducs : « Que me conseillez-vous de faire de ceux que j’ai retenus, qui sont venus au plaid pour Ganelon et se sont rendus otages de Pinabel ? — Qu’ils meurent, » répondent les Français. Et les trente otages sont pendus. « Ainsi meurent tous les traîtres ! » (Vers 3947 et suiv.)

« Quant à la mort de Ganelon, elle est vraiment terrible dans notre poëme. Vaincu et déclaré coupable par la mort de son champion, Ganelon ne peut lui-même échapper à la mort. Le jugement de Dieu s’est déclaré contre lui : il faut qu’il périsse et lave dans son propre sang son crime de lèse-majesté. Dans la rigueur du droit féodal, qui est évidemment issu du droit germanique, celui dont le champion était vaincu devait périr : les Assises de Jérusalem ne laissent aucun doute à cet égard : « Si la bataille est de chose qu’on a mort deservie et le garant est vaincu, il et celui pour qui il a fait la bataille seront pendus. » (XXXVII et XCIV.) En 1248, la peine de mort n’était plus réservée au vaincu, mais seulement une amende de cent sous. Dans la Chanson de geste, qui est au moins contemporaine de la première rédaction des Assises, Ganelon est puni de mort. Et le supplice décerné contre lui ne sera pas la pendaison : ce sera le grand supplice réservé plus tard aux traîtres, à ceux qui livrent leur pays, à ceux qui offensent la majesté du roi ; ce sera l’écartèlement, qui cependant n’est indiqué spécialement dans aucune loi germaine. Bavarois et Allemands, Poitevins, Bretons et Normands, Français surtout, sont d’avis que Ganelon meure d’un supplice extraordinaire. On fait venir quatre destriers ; on lie Ganelon par les pieds, par les mains. Les chevaux sont sauvages et forts coureurs : quatre sergents les excitent. Tous les nerfs du misérable sont effroyablement tendus, tous ses membres sont