Page:Gautier - La Comédie de la mort.djvu/144

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Dans ces tableaux, partout l’âme glorifiée
Foule d’un pied vainqueur la chair mortifiée ;
L’ombre remplit le bas, le haut rayonne seul,
Et chaque draperie a l’aspect d’un linceul.
C’est que la vie alors de croyance était pleine,
C’est qu’on sentait passer dans l’air du soir l’haleine
De quelque ange attardé s’en retournant au ciel ;
C’est que le sang du Christ teignait vraiment l’autel ;
C’est qu’on était au temps de saint François d’Assise,
Et que sur chaque roche une cellule assise
Cachait un fou sublime, insensé de la Croix ;
Le désert se peuplait de lueurs et de voix ;
Dans toute obscurité rayonnait un mystère,
On aimait, et le ciel descendait sur la terre.
Gothique Albert Durer, oh ! que profondément
Tu comprenais cela dans ton cœur d’Allemand !
Que de virginité, que d’onction divine
Dans ces pâles yeux bleus, où le ciel se devine !
Comme on sent que la chair n’est qu’un voile à l’esprit !
Comme sur tous ces fronts quelque chose est écrit,
Que nos peintres sans foi ne sauraient pas y mettre,
Et qui se lit partout dans ton œuvre, ô grand maître !
C’est que tu n’avais pas, lui faisant double part,
D’autre amour dans le cœur que celui de ton art ;