Page:Gautier - La Comédie de la mort.djvu/150

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Comme un vin qui s’aigrit s’est tourné dans nos veines ;
Rien ne vit plus en nous, nos amours et nos haines
Sont de pâles vieillards sans force et sans vigueur,
Chez qui la tête semble avoir pompé le cœur.
La passion est morte avec la foi ; la terre
Accomplit dans le ciel sa ronde solitaire,
Et se suspend encore aux lèvres du soleil ;
Mais le soleil vieillit, son baiser moins vermeil
Glisse sans les chauffer sur nos fronts, et ses flammes,
Comme sur les glaciers, s’éteignent sur nos âmes.
D’en-bas, le mont Gemmi vous paraît tout en feu,
Il fume, il étincelle, il est rouge, il est bleu.
Montez, vous trouverez la neige froide et blanche,
Et l’hiver grelottant qui pousse l’avalanche.
Nous sommes le Gemmi, le reflet du passé
Brille encor sur nos fronts. Ce reflet effacé,
Il ne restera plus qu’une neige incolore ;
Demain, sur le Gemmi, se lèvera l’aurore,
Les glaciers de nouveau se mettront à fumer,
Et l’incendie éteint pourra se rallumer ;
Mais, hélas ! il n’est pas pour nous d’aube nouvelle,
Et la nuit qui nous vient est la nuit éternelle.
De nos cieux dépeuplés il ne descendra pas
Un ange aux ailes d’or pour nous prendre en ses bras,