Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/134

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— J’amène trente Français braves et solides ; mais pour les avoir — peut-être ai-je eu tort — je me suis engagé en votre nom, monsieur, à leur pardonner une faute des plus graves.

— Vous avez bien fait, dit Dupleix. J’aime que dans les cas pressants, un officier sache prendre une résolution.

— Vous me rassurez tout à fait, monsieur : il s’agit de trente matelots, échappés par miracle au naufrage de leur navire et tellement terrifiés de l’horreur de la dernière tempête qu’ils se sont enfuis, jurant de ne jamais remettre le pied sur un bateau.

— Ah bah ! vous les avez retrouvés ? dit Dupleix joyeusement, je pensais beaucoup à ces pauvres diables, dont je savais la désertion ; mais on ne pouvait pas les découvrir.

— Le hasard seul m’a servi : il s’est pour ainsi dire couché en travers de ma porte, sous la forme d’un ivrogne, qui était justement un de ces matelots.

— Voilà un hasard courtois.

— L’homme, revenu à lui, m’a avoué son aventure ; il était dépêché par ses compagnons qui, depuis leur fuite, se cachent dans les bois et dans les taillis, vivant on ne sait comment ; mais, à bout de forces, ils envoyaient leur camarade en éclaireur, pour voir s’ils étaient suffisamment oubliés et pouvaient se cacher dans la ville et y trouver quelques moyens d’y subsister. Celui qui me parlait était le maître-coq de son navire ; il paraît qu’une marmite lui a servi de véhicule pour venir jusqu’à terre, et ce qu’il a enduré pendant ce singulier voyage a failli le rendre fou.