Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/140

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— Jeanne ! Jeanne ! s’écria-t-il, j’ai le cœur tenaillé par l’inquiétude, et pourtant je suis frémissant d’espoir. Toi seule sais de quelle importance serait pour moi cette victoire, et quelle agonie si j’échouais !

— Aussi je tremble et j’espère comme toi, dit Jeanne, la fièvre me dévore.

Et elle mit ses mains brûlantes dans celles de son mari.

— Le plus terrible, c’est de passer le temps de ces heures d’attente, longues comme des siècles ; ne rien savoir quand tout est déjà perdu ou sauvé, c’est cela qui est mortel ; le vent a beau gonfler les voiles, le chamelier dévorer l’espace, c’est long, c’est long !

— Sois calme ; le cerveau qui dirige, pour être parfaitement lucide, doit garder sa tranquillité.

— J’y fais tous mes efforts ; mais la partie est si monstrueusement inégale qu’à moi-même, à présent, il me semble téméraire de l’avoir risquée.

Il baisa la main de sa femme et lui sourit.

— Parlons d’autre chose, dit-il ; de Bussy s’est-il bien tiré de sa traduction ?

— À merveille, ce qu’il vous a lu était traduit mot pour mot.

— Il a fort bien exécuté aussi ce dont je l’avais chargé, dit Dupleix : il me semble avoir de l’énergie et de l’initiative. Que penses-tu de lui, Chonchon ? Tu as dansé et causé avec ce jeune homme au bal ?

Chonchon rougit et parut interdite.

— Je ne sais, répondit-elle d’une voix mal assurée, je le connais trop peu : cependant, il me semble qu’il n’est pas comme les autres.