Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/15

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— C’est là une question délicate, répondit Bussy, en souriant, mais j’y répondrai franchement. L’amiral me fait l’effet d’être un héros mi-parti de blanc et de noir, lumière et ombre, archange et diable. Moi qui, sous ses ordres depuis tant de mois, l’ai vu accomplir des prodiges, je ne le reconnais plus ; toutes ces lenteurs, ces hésitations, ce refus de combattre l’escadre anglaise quand nous avions tous les avantages, c’est à n’y rien comprendre.

— Je comprends, moi. Comme vous le dites, il y a de l’ombre sur ce héros, et je crois deviner quelle est la paille qui fera rompre ce pur acier.

— Qu’est-ce donc ?

— L’envie !

— Que dites-vous là ? s’écria Bussy en se rapprochant de son compagnon, parlez plus bas.

— Vous verrez, continua Kerjean en baissant la voix ; l’amiral est dévoré de jalousie ; il ne veut ni ordres ni conseils, même quand ils sont conformes à ses idées ; la puissance de mon oncle Dupleix dans ce pays lui porte ombrage, il ne veut pas d’une victoire partagée.

— Vous m’effrayez ; mais je ne puis croire à de pareils sentiments.

— Dieu veuille que je sois un calomniateur, dit Kerjean en soupirant.

Il s’arrangea pour dormir et le silence se rétablit. Mais bientôt de nouveauté jeune homme le rompit.

— Voici bien longtemps que j’ai quitté la France, dit-il, parlez-moi d’elle. Que dit la cour ? que fait-on à Versailles ?