Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/154

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en sautant en selle. D’ailleurs la peur ne manque pas d’un certain charme, et quoi qu’il arrive je ne fuirai pas.

— Tu es héroïque à ta manière, dit Ourvaci en souriant ; en route donc !

Chanda-Saïb galopait déjà au bord de l’eau, précédé par ses deux pages qui cherchaient le gué.

— Par ici, belle reine ! cria-t-il ; voici le passage.

La petite troupe traversa la rivière et s’élança sur les traces des combattants.

Le bruit des tambours, qui roulaient sans discontinuer, et la fusillade régulière les guidait sûrement, et bientôt ils ralentirent leur course, ayant devant eux l’arrière-garde française.

La déroute emportait les fuyards avec une rapidité croissante, jonchant leur route de morts et de blessés. Ils s’écrasaient maintenant à la porte de Méliapore — que les Européens appellent Saint-Thomé — la petite ville à laquelle Marphiz-Khan s’appuyait. Ils avaient le projet de s’y enfermer ; mais l’encombrement était tel qu’il fut impossible de refermer la porte assez tôt, les Français la franchirent sur les talons des fugitifs.

— Tu vois, dit la reine à Chanda-Saïb, ils tombent dans le piège, ils entrent dans la ville, et pas un n’échappera.

— Je crois que tu t’abuses, Apsara céleste, répondit le prince dont le visage rayonnait de joie ; nous assistons au plus étonnant fait d’armes qui se puisse imaginer.

— Une armée terrifiée par quelques centaines d’hommes, c’est impossible, dit Ourvaci dont le beau sourcil se fronçait de colère et de dégoût.