Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/17

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Et toujours ce grondement qui éclate et roule, faisant vibrer toutes les vitres de la maison. Mais voici le sable bien uni des allées qui crie sous un pas précipité. C’est un soldat. On aperçoit l’éclat rouge de son habit à travers les touffes de jasmins.

— Des nouvelles, dit le gouverneur en quittant la véranda et enfilant en hâte une culotte.

Le messager paraît à la porte de la chambre.

— Eh bien ? interroge le gouverneur.

— Les Français ! Votre Grâce, ils ont débarqué cette nuit et canonnent la ville.

— Les Français !

Cette nouvelle casse bras et jambes à sir Morse qui tombe dans un fauteuil.

Le soldat fait son rapport :

Huit navires ennemis sont mouillés à portée de canon ; deux mille hommes environ sont à terre, à peu de distance de l’embouchure du Montauron, et déjà une batterie de six mortiers est établie là.

— Allez dire que je rentre en ville à l’instant.

Le soldat salue et s’éloigne, tandis que le gouverneur se pend aux sonnettes. Les serviteurs arrivent, on habille le maître, on le coiffe, on le poudre, il reprend toute se dignité.

La demeure, du haut en bas, est pleine d’agitation : des va-et-vient effarés, des cris, des appels. Tout le monde devine le danger : cette maison hors des murs et sans aucune protection, il faut la quitter au plus vite. Déjà lady Morse emballe les objets précieux ; son fils et sa jeune fille s’empressent à l’aider, car les négresses affolées sont incapables d’aucun service.