Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/176

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grand trouble, en tous cas, et inexplicable, car l’ennemi ne poursuit pas, et même cesse bientôt le feu de ce côté. La colonne revient. Dupleix la voit sortir du nuage et se hâter vers la ville, par le bon chemin cette fois ; il quitte alors son poste d’observation et galope vers le bastion Sans-Peur, par lequel rentrent les soldats.

Déjà ils arrivent, par groupes tumultueux, noirs de poudre, saignants, mais plus attristés qu’effrayés.

Dupleix s’est arrêté, le cœur serré par un pressentiment, il n’ose pas interroger, mais il lui semble que l’on murmure un nom autour de lui, celui de Paradis.

— Paradis, prisonnier ? s’écrie-t-il, en s’avançant vivement.

On détourne la tête, personne ne répond, et voici que des pas durs et réguliers sonnent sur les dalles ; quatre soldats paraissent, portant sur des fusils entre-croisés un homme recouvert d’un drapeau.

Le gouverneur saute à terre et s’élance vers lui :

— Blessé !

Il écarte les plis du drapeau et prend la main inerte et tiède encore de Paradis. Tout le monde s’est découvert, et garde un silence profond.

— Mort !

Ce mot lui déchire les lèvres ; il veut douter encore pourtant, appuie sa main sur ce brave cœur qui ne bat plus ; puis, avec des yeux troublés de larmes, il contemple longuement son vieil ingénieur, qu’il aimait tant, si fidèle, si dévoué et qui le comprenait si bien. On ne voit pas la blessure qui l’a emporté,