Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/186

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tails. Salabet-Cingh, placé à côté de la bégum, avait derrière lui des esclaves somptueusement vêtus, dont l’un portait une aiguière d’or. Bussy était placé presque en face du prince, il l’avait malgré lui sous les yeux, et sa maussaderie ne s’en allait pas.

— Je vois qu’il fait toujours très noir et que l’aurore n’a eu aucun pouvoir, dit Chonchon.

— Grondez-moi, mademoiselle, dit le marquis fâché contre lui-même, car je le mérite fort. Au lieu de jouir du bonheur d’être prés de vous, je me laisse stupidement dominer par la colère, à cause d’un cadeau que l’on vient de me faire. Tenez, cette bague.

— Oui, le prince Salabet ; je l’ai vu de loin vous la donner, dit-elle. Comment cela peut-il vous irriter ? Il vous a fait le plus grand honneur possible, puisqu’il vous a pris un ruban et qu’il le porte sur lui ; c’est un signe qu’il se regarde comme votre ami.

— Pourquoi ? Je ne le connais pas !

— Votre valeur et vos traits d’héroïsme ont fait grand bruit pendant le siège. Le prince vous connaît par la renommée, et il vous remercie de l’avoir si bien défendu, puisqu’il n’avait pas quitté la ville. La bague est fort belle ; voilà bien de quoi se fâcher !

— Je suis absurde en effet, dit Bussy, mais c’est fini, n’en parlons plus.

Et il vida d’un trait son verre qu’on venait de remplir, et s’efforça d’être gai et aimable.

Il y parvenait mal. Malgré lui ses regards s’attachaient sur Salabet-Cingh, étudiant son visage, cherchant à deviner son âme. Certes, il n’avait rien d’un homme épris, séparé de celle qu’il aime ; une gaieté