Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

çaient de chaque touffe de feuillage. Du haut de son houdah, Bussy voyait dans les arbres ; il surprenait les oiseaux faisant leur toilette ; près de la route un bengali vint se poser sur une large fleur emplie jusqu’au bord de rosée ; il y trempa son bec et but en renversant la tête ; puis il se baigna dans la fleur, secouant ses plumes, faisant jaillir des diamants. Puis les singes, les écureuils s’éveillèrent à leur tour, bondirent légèrement de branche en branche, se laissèrent glisser le long des lianes en poussant de petits cris aigus ; des gazelles passèrent dans les fourrés, s’enfuirent avec un grand bruit de feuilles froissées.

Kerjean s’était endormi ; mais Bussy se penchait en dehors, pour mieux jouir de cette fête de l’aurore, et il se disait que l’homme était un intrus dans cette forêt mystérieuse, si peuplée, si vivante.

À mesure que le soleil la pénétrait, la forêt devenait de plus en plus splendide ; les arbres, d’une extraordinaire vigueur, découvraient leur taille gigantesque, leur structure singulière : les sycomores, les tecks au bois impérissable, le santal blanc, qui exsudait son chaud parfum, les bambous, par groupes, faisant jaillir, à des hauteurs prodigieuses, leurs gerbes colossales ; toutes sortes d’essences enfin, prospérant libres, sauvages, dans leur domaine inviolé. On voyait bien qu’en ces lieux la hache ne blesse jamais, que l’arbre, chargé de siècles, meurt de lui-même, se penche vers ses enfants, qui le retiennent, l’empêchent de tomber, et lui font un suaire fleuri.

Sous l’ombre de ces géants au port superbe, tout un monde d’arbrisseaux, de buissons, de fruits, de