Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fleurs, d’herbes étranges, luttait de beauté, d’éclat, d’arômes exquis : le poivrier, le bétel grimpant, le manguier difforme, le gingembre, le cardamone ; et, à travers toute la forêt, la folle et aventureuse liane avec des transparences de vitrail, s’élançait de branche en branche, d’arbre en arbre : festons, guirlande ; enlaçant tout.

Le grouillement de la vie aussi devenait fantastique, inquiétant ; on sentait bruire et s’agiter toute une foule. Il semblait y avoir autant d’oiseaux que de feuilles ; les insectes se levaient comme des nuées de poussière, et les singes, innombrables maintenant, bondissaient à droite et à gauche, grimaçant, criant, poursuivant les hommes, les lapidant avec des fleurs et des fruits.

Kerjean reçut un limon en pleine poitrine, ce qui le réveilla brusquement, maugréant et furieux.

— J’ai cru que c’était un boulet, dit-il en ramassant le fruit qu’il se mit à éplucher ; pouah ; que c’est acide !

— Je crois bien, dit Bussy, c’est un amblid ; Naïk prétend que, si l’on y enfonce une aiguille, elle se dissout.

— Envoyez-moi autre chose, affreuses bêtes, dit Kerjean en rejetant aux singes les débris du fruit, ce qui lui attira une grêle de projectiles ; mais sont-ils mauvais ! continua-t-il, il est temps que nous sortions de la forêt ; sans cela il nous faudra livrer bataille. Demandez donc au mahout où nous en sommes.

— Encore quelques instants, et l’on débouchera dans une vallée où l’on fait halte.