Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/225

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— Tu sais mon nom ? dit-elle surprise.

Et ces mains, qui tout à l’heure le repoussaient, elle les noua derrière le cou du jeune homme.

Il était comme ivre de haschisch, et perdait toute notion du temps. Il lui semblait, seulement, que cette minute était la raison même de son existence, qu’il n’avait vécu que pour l’atteindre, et que les jours écoulés, et le monde entier, tourbillonnaient, dans un vertige, autour de ce point suprême.

Et il murmurait, en fermant les yeux par moments :

— L’amour dont je t’aime est au-dessus des forces d’un mortel. Tenir dans ses bras l’idéal réalisé, surpassé même ! c’est là un bonheur trop lourd, que le cœur ne peut porter ; l’âme se dilate au point d’en être déchirée, et il torture horriblement, parce qu’on le sent impossible, et prêt à s’envoler.

Elle le regardait, profondément, se penchant pour entendre ses paroles, toute troublée de cette souffrance qui le rendait si pâle, de cette adoration fervente qui le faisait si réservé. En effet, il éprouvait comme une honte de lui-même, une timidité tremblante, et ce baiser, maintenant, lui semblait impossible et sacrilège.

Ce fut elle qui jeta ses lèvres sur les siennes, brusquement, comme pour en finir. Tout rapide et léger qu’il fût, ce contact velouté, embaumé et frais comme celui d’une fleur, le fit presque évanouir, l’aveugla d’un tourbillon de flammes.

— Ah ! pardon ! s’écria-t-il, je ne le demandais plus, je ne méritais pas tant !

Il avait laissé tomber sa tête sur l’épaule froide de la jeune fille ; elle lui dit à voix basse :