Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/28

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giner cette beauté incomparable dont le souvenir rayonnait encore ; il l’aimait à travers les siècles.

Et toujours il courait, coupant l’air chaud et parfumé ; mais le cheval se lassa, reprit une allure plus tranquille, et le jeune homme, comme éveillé, regarda autour de lui.

Le terrain se mouvementait : des collines et des bois bleuissaient l’horizon, et à peu de distance se dressaient des arbres prodigieusement hauts, droits comme des mâts, lisses et sans feuilles, excepté à leur sommet, un parasol magnifique.

Bussy marcha vers ces arbres qui l’émerveillaient.

Quelques huttes étaient groupées à leur pied ; des noirs, un lambeau d’étoffe blanche autour des reins, apparaissaient, et une vieille femme était accroupie près d’un chaudron sous lequel brûlaient trois morceaux de bois sec.

Elle considérait le jeune homme qui venait de s’arrêter, avec une curiosité souriante, et son rire illuminait sa figure noire.

— Victoire ! au jeune étranger qui passe, dit-elle.

C’était la première fois que la langue de l’Inde résonnait à l’oreille du marquis de Bussy, et la joie de la comprendre lui donna un battement de cœur.

— Veux-tu me dire, femme, si cette forêt que j’aperçois est bien loin encore ? demanda-t-il, en cherchant un peu ses mots et avec une sorte de timidité.

— La moitié d’une heure pour l’ardeur de ton cheval, mais n’entre pas dans cette forêt : de puissants rajahs y chassent aujourd’hui.

Il salua la vieille femme d’un sourire et repartit,