Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/357

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rience encore, je te parlerai comme si la barbe blanche de la sagesse argentait ma poitrine, et, pour t’enlever tout remords de rompre d’anciens serments, je te montrerai que ce qui te rend heureuse est aussi le bien de nos sujets.

« Quand on nous fiança l’un à l’autre, rien ne faisait prévoir que, privée par la cruelle mort de tes frères et de tous tes parents mâles, le poids de la couronne chargerait un jour ton front délicat, et des obstacles, qui semblaient insurmontables, me séparaient du trône où je suis à présent si triomphalement assis. Au lieu de fiancés insouciants et libres, deux souverains sont aujourd’hui face à face, et les lois sont autres pour eux ; avant de songer à leur bien, ils doivent songer à celui de leur peuple.

« La sagesse ne nous dit-elle pas que Bangalore, si prospère sous ton règne, perdait tout en te perdant. Le Dekan perdrait aussi, car ta loyauté envers le trône de mes prédécesseurs, ton exactitude à remplir tes engagements, bien peu de princes tributaires les possèdent. Le gouverneur qui, toi absente, régirait tes États n’aurait en vue, sans doute, que son intérêt et, par son joug avide et lourd, pourrait susciter des troubles et des bouleversements, faire naître la guerre et la ruine, là où fleurissent la paix et la richesse.

« Je soumets à ton jugement ces réflexions, qu’approuve mon vizir. Mais toi seule décideras, car ne me fais pas l’injure de douter que, si l’on s’est trompé sur tes sentiments ou s’ils se sont modifiés, ma plus grande gloire sera, quoi qu’il puisse arriver, de partager mon trône avec toi.