Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/393

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Ourvaci abaissa ses beaux yeux humides sur le jeune homme.

— Eh bien, dit-elle, s’il meurt, je mourrai.

Puis, elle s’attrista de nouveau.

— Hors de ce monde, nous ne serons pas réunis, s’écria-t-elle ; j’oubliais que le ciel de mes dieux n’est pas celui des siens.

— Mon seul dieu c’est toi, mon ciel c’est l’air qui t’enveloppe, cria-t-il. Mais, si cela peut te rassurer, j’adore Brahma, Indra, Ganésa et l’effrayante Kali qui danse sur des cadavres, et le dieu bleu qui vogue sur la mer de lait, et tous ceux que tu voudras ; s’il y a quelque sacrifice, quelque cérémonie à accomplir, je suis prêt.

— Pardonne-moi, j’étais folle, dit Ourvaci, j’ai honte vraiment d’amollir ton courage par le spectacle de ma lâcheté ; les jours et les nuits ne me manqueront pas pour exhaler ma douleur ; tant que tu es là, il reste encore de la joie. Demandons nos chevaux, Lila ; nous accompagnerons l’ambassadeur jusqu’aux limites de nos domaines.

Une heure plus tard, ils franchissaient ensemble le portique du palais, et le marquis, se retournant une dernière fois, embrassait d’un long regard cette demeure où il avait été si heureux.

— Ah ! s’écria-t-il, l’inscription, qui ment aujourd’hui sur les ruines somptueuses d’un édifice de Delhi, serait à sa vraie place sur la porte de ce palais : S’il est un paradis sur terre, c’est ici ! Certes, la douleur qu’éprouva Adam n’était pas plus poignante que la mienne lorsqu’il sortit de l’Éden, et pour-