Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/398

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— Brûle-lui la langue, Tchandra, répands sur ses gencives impures un poison tellement corrosif que l’horrible Rahou soit forcé de s’enfuir, en hurlant de douleur, après l’avoir rejetée dans le ciel.

Quand l’ombre fut complète, le vacarme grandit encore, les cris redoublèrent, les cymbales et les tambours semblèrent pris de folie.

Mais tout à coup, une voix formidable, qui semblait le rugissement du monstre qui mangeait la lune, couvrit ses clameurs. L’horizon se raya d’éclairs, et des globes, rouges comme des braises, passèrent en sifflant : les Français canonnaient le camp mahratte.

La surprise fut complète. À la terreur superstitieuse, succéda une épouvante plus sérieuse, une stupeur qui ôta toutes leurs facultés à ces hommes demi-nus, perdus dans l’ombre. Ils ne savaient même pas de quel côté fuir, à travers la fusillade ininterrompue qui les enveloppait de nuages. « On ne respirait, dirent-ils plus tard, que feu et fumée. »

Quand Rahou eut rejeté la lune, et que la clarté revint, elle illumina les baïonnettes françaises à la place où était tout à l’heure le camp. Les Mahrattes qui l’occupaient encore étaient morts ou prisonniers, tout le reste avait fui ; Balladji-Rao, en chemise, ne s’était échappé que grâce à un cheval, rencontré sur sa route, et qu’il avait enfourché.

Cette victoire, qui rompait l’antique prestige des guerriers mahrattes, les plongea, pour la première fois peut-être, dans un morne découragement, et, quand Balladji-Rao eut compris que le général français ne comptait pas se reposer et continuait sa