Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/417

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manquent, et l’on ne se lasse pas d’interroger et d’écouter les vainqueurs. Une histoire merveilleuse, qu’on se chuchote de bouche à oreille, parmi les musulmans, fait pousser des cris de surprise aux nouveaux venus, à qui on la répète tout bas. C’est que le général français, qui revient triomphalement, après avoir dispersé, d’une façon toute fantastique, les adversaires les plus redoutables, est mort empoisonné, et que son ombre est revenue, pour conduire l’armée à la victoire et rendre au nom français tout son prestige.

Malgré le grand secret que l’on se jure les uns aux autres, quelques mousquetaires, et des grenadiers, ont eu vent de ce bruit, et s’en irritent fort. Cependant beaucoup parmi eux sont tout près de le croire, tellement ils ont trouvé leur commandant différent de lui-même, eux qui l’ont connu si libre d’esprit pendant les combats, d’un enjouement si cordial, sachant, mieux qu’aucun autre, faire oublier les peines avec un sourire ou un mot flatteur, leur communiquant une ardeur folle par l’éclair héroïque de son regard. Cette fois il s’est montré d’une sévérité implacable, muet hors des commandements, ne paraissant voir personne et d’un visage si froid et si pâle, que vraiment ils avaient eu par moments l’impression d’être conduits par un spectre.

On jette dans l’intérieur de la tente, des regards furtifs, qui ne sont pas exempts de terreur, malgré le resplendissant soleil, peu propice aux apparitions, qui baigne la plaine.

La scène qui se passe dans la tente n’a cependant