Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

essayait de faire glisser quelques gouttes de cordial entre ses dents serrées.

Lorsqu’elle revint à elle, Lila se leva brusquement, regarda autour d’elle avec épouvante.

— Je me suis évanouie ? demanda-t-elle. Combien de temps ?

— Nous avons eu grand’peine à te rappeler à la vie, dit Arslan, qui était resté agenouillé sur le tapis.

— Ah ! misérable faiblesse ! s’écria-t-elle en se tordant les bras, tout sera fini, il est trop tard ! La route est longue, longue à mourir ! D’ailleurs, qu’importe puisqu’il ne l’aime plus !

— Lila ! s’écria Bussy en se jetant à ses pieds, ne blasphème pas.

Mais elle le repoussa avec égarement.

— Malheureux ! c’est donc ainsi que tu aimes, continua-t-elle ; et moi, folle, qui, jugeant ton cœur d’après le mien, n’appelais que toi dans la détresse ; moi qui faisais de mon amour un piédestal au tien, et serais morte sans me plaindre pour vous savoir heureux, elle et toi ! c’est en vain que je t’ai demandé secours, après avoir dévoré l’espace, nuit et jour, sans pitié pour mon corps, n’essuyant même pas la poussière qui m’aveuglait, courant, courant toujours, vers ce héros, vers cet invincible qui seul pouvait nous sauver. Et quand j’arrive brisée, n’étant plus soutenue que par l’espoir, il me repousse, il hésite, il a peur pour lui ! Eh bien, puisque tu n’as pas voulu sauver la reine, viens donc la voir mourir ! cria-t-elle d’une voix déchirante, en éclatant en sanglots.

— Que se passe-t-il ? parle, Lila, reviens à toi, je