Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/76

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« — Le barbare nous a délivrés de sa présence : est-il parti satisfait de mes largesses ? suis-je suffisamment libérée envers lui ?

« — Le barbare a presque tué ton messager, il a éparpillé dans la boue tes pierreries et s’est enfui, ivre de colère, en n’acceptant rien de toi.

« — Alors il me fait don de la vie ! s’écria la reine, dans une vive agitation, et tu as supporté une pareille injure ? tu n’as pas retenu le maudit ?

« — Le cheval était rapide, et dans son indignation le jeune homme ne me ménageait pas.

« — Il t’a insulté, toi, un brahmane ! et tu l’as laissé vivre ?

« — Certes ! Sa fierté et son regard étincelant me plaisaient fort. J’ai cru voir en cet étranger une incarnation de notre héros Rama.

« — Rugoonat Dat ! s’écria alors la reine en se levant d’un air courroucé, les singulières révoltes de ton esprit contre toutes nos traditions m’effrayent vraiment. Je ne suis pas digne de disputer avec un saint tel que toi ; c’est pourquoi je te prie de me laisser pour m’éviter le péché d’une colère sacrilège. »

— À ces mots, le brahmane salua et se retira, en dissimulant un sourire où il y avait un peu de pitié.

— Sais-tu que ce brahmane est un brave homme ! s’écria Bussy. Je regrette de l’avoir malmené et je lui en ferai mes excuses à l’occasion. Mais la reine, que fit-elle lorsqu’elle fut seule ?

— Pareille au soleil qui s’enfonce dans les nuées, elle voila un instant son beau visage dans ses mains, comme pour échapper à une honte ou à une crainte.