Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/77

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Puis elle appela ses deux femmes favorites, deux princesses qui ne la quittent guère, l’une surtout qu’elle préfère à toutes et qui a nom Lila. Elle leur dit comment l’odieux étranger avait refusé ses présents et dans quelle colère la plongeait cette nouvelle.

« — Songe, Lila, disait-elle, quelle humiliation ! Ma vie est un don qu’il m’a fait ! Pourrai-je la supporter ? Ah ! l’horreur me saisit quand je me souviens qu’il m’a tenue dans ses bras, que j’ai roulé dans l’herbe avec lui, et que son sang était sur moi !

« — La Lumière du Monde s’éteignait sans lui, dit Lila, caressante ; reine, il t’a sauvée !

« — Vous sauve-t-il, le pestiféré qui vous arrache aux flammes, mais vous laisse une souillure mortelle ? »

— Et comme les yeux de la reine se noyaient de larmes, pour la calmer, on fit entrer les bayadères et les jongleurs, avec la musique bourdonnante.

— Alors, si je comprends bien, s’écria Bussy, en empêchant la reine d’être mangée par un tigre, je l’ai à jamais déshonorée ?

— C’est quelque chose comme cela, répondit Naïk. Ces préjugés que ton esprit rejette, la reine est leur esclave. Tes dieux, paraît-il, ne sont pas les siens, tu manges de la chair de vache, crime irrémédiable qui te rend impur à ses yeux autant qu’un paria ; c’est pourquoi l’on t’a traité avec cet incroyable mépris, le donnant des parias pour serviteurs. Tout ce qui t’a servi et le hangar qui t’abritait ont été livrés aux flammes.

— Eh bien ! voici une jolie situation pour un amou-