Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/85

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puis, avec un tumulte épouvantable, se versent en cataractes phosphorescentes et, dans une course vertigineuse, débordent les rivages, couvrent d’écume les quais et les remparts. Les nuages semblent la fumée flamboyante d’un incendie qui passe, et ils éclairent d’une lueur fantastique cet effroyable bouleversement, dont le vacarme est tellement surhumain qu’à l’entendre les oreilles humaines saignent.

D’heure en heure, de nuit en jour, la tempête se prolonge avec des apaisements momentanés et des recrudescences de fureur. Les lumières restent allumées dans les maisons où les habitants sont enfermés, pâles de terreur et les poumons oppressés par l’étouffante chaleur. Les murs tremblent ; les toits ruissellent et les chambres sont envahies par des hôtes inattendus et qu’en vain l’on s’efforce de chasser. Des torrents d’eau inondant leurs retraites, toutes les bêtes qui gîtent dans les crevasses, dans les caves et les recoins humides, se replient en désordre vers les demeures des hommes : les reptiles, les crapauds, d’innombrables lézards, courent, rampent sur le parquet, tandis que les murailles disparaissent sous le grouillement des cancrelats, des scorpions ; et le dégoût qu’inspire une telle compagnie s’ajoute à l’effroi et à l’énervement que fait éprouver l’orage.

Enfin, après la seconde nuit, la tempête se calme, le tonnerre cesse son vacarme, le déluge prend fin, et reptiles et insectes regagnent leurs pénates.

Dès que l’on peut mettre le nez dehors, un grand nombre de noirs apparaissent chargés de longues échelles, qu’ils appuient contre les maisons et qu’ils