Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/341

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parfumée, rouge, verte, blanche, sablée de poudre d’or, à moins cependant que ce ne soit avec de la mie de pain mâchée, ou un pain à cacheter emprunté à l’épicier, ce qui arrive fréquemment.

Les autres femmes de théâtre n’abordent la scène qu’à seize ou dix-huit ans ; jusque-là, elles ont été à la campagne ; elles sont sorties en plein jour ; elles ont vu des hommes et des femmes, des marchands et des bourgeois ; elles ont une idée de la machine sociale, et comprennent les rapports des classes entre elles. Le rat a été pris de si bonne heure dans cette immense souricière du théâtre, qu’il n’a pas eu le temps de soupçonner la vie humaine. À l’âge où les roses de mai s’épanouissent tout naturellement sur les joues des enfants, la pauvre petite victime a déjà pâli sous le fard ; ses membres ont déjà été brisés par les tortures de la salle de danse ; les grâces naïves de la jeunesse sont remplacées chez elle par les grâces laborieuses de la chorégraphie. Sa mère lui donne des leçons d’œillades et de jeu de prunelles, comme on apprend aux enfants ordinaires la géographie et le catéchisme. Sur cette pauvre créature étiolée, aux bras amaigris, à l’œil plombé de fatigue, repose l’espoir de la famille, et quel espoir, grand Dieu !