Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/352

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La représentation achevée, la pauvre fille dépouille définitivement le maillot, reprend ses habits de ville, et descend par le couloir où stationnent les galants qui n’ont pas leurs entrées dans les coulisses, privilège fort rare qui n’est accordé qu’aux membres du corps diplomatique, aux lions fashionables, et aux sommités du journalisme. La danseuse prend le bras du préféré, qui l’emmène souper, et la reconduit chez elle ou chez lui, selon la circonstance.

Voilà le côté public, théâtral, non muré, de l’existence du rat ; le côté intime est difficile à décrire devant des lecteurs pudibonds : il est viveur enragé, soupeur féroce, et sable le vin de Champagne comme un vaudevilliste ; ses mœurs, si l’on doit donner ce nom à l’absence complète de mœurs, sont excessivement licencieuses et très-régence ; les phrases équivoques et les plaisanteries en jupon très-court, les mots sans feuille de vigne, abondent dans sa conversation, d’un cynisme à embarrasser Diogène. Cette alternation perpétuelle de pauvreté et d’opulence, de privations et d’orgies, cet oubli parfait de la veille, du lendemain, et surtout du présent, ces habitudes élégantes et ignobles, cet argot emprunté aux saltimbanques et aux gens du monde, forment un caractère piquant,