Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/353

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original, d’une grâce dépravée, d’une allure bohémienne tout à fait propre à réveiller la fantaisie blasée des dandys et des beaux fils, quelquefois même l’amour ; car ces petites filles sont presque toujours fort jolies, contre l’idée du public, qui ne peut se figurer une fille de théâtre qu’avec de fausses dents, des yeux de verre, des maillots rembourrés, des corsets gonflés de ouate, des cheveux achetés à la foire de Caudebec, un teint couperosé, une peau jaune et rance qui n’a d’éclat qu’aux lumières. Les femmes du monde répandent très-activement ces idées préservatrices ; mais il n’en est pas moins vrai que les peaux les plus fines, les plus douces, les plus satinées, que les dents les plus pures et les plus blanches, sont celles des femmes de théâtre, par la raison très-simple qu’elles en prennent depuis l’enfance un soin extrême, qu’elles ont des raffinements de toilette excessifs, et qu’elles savent très-bien qu’une ride ou une tache, c’est cinq cents francs ou mille francs de moins par mois sur leur budget. L’illusion du théâtre est une illusion du bourgeois : la scène fait paraître laides beaucoup de femmes qui sont jolies, mais elle n’a jamais fait trouver jolie une femme qui était laide. D’ailleurs, cette gymnastique perpétuelle, ces émotions variées, et, s’il faut le dire, cette folle