Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/50

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une colline, oubliant le boire et le manger, oubliant tout ? Sans Fidèle, j’aurais déjà perdu plus d’une bête, et le maître m’aurait chassé. Pourquoi ne suis-je donc pas comme les autres, grand, fort, riant toujours, chantant à tue-tête, au lieu de passer ma vie à regarder pousser l’herbe que broutent mes moutons ?

Petit-Pierre se plaignait tout bonnement de n’être pas stupide, et avait-il tort ?

Sans doute vous avez déjà pensé que Petit-Pierre était amoureux : il le sera peut-être, mais il ne l’est pas.

Les amours des champs ne sont pas si précoces, et notre berger ne s’était pas encore aperçu qu’il y eût deux sexes.

Il est vrai qu’en certains cantons peu favorisés, l’on pourrait s’y tromper ; c’est le même hâle, la même carrure, les mêmes mains rouges, la même voix rauque : la nature n’a créé que la femelle, la civilisation a créé la femme.

Arrivé sur le revers d’une pente couverte d’un gazon fin et luisant, et semée de quelque beaux bouquets d’arbres s’agrafant au terrain par des racines noueuses d’un caractère singulier et pittoresque, il s’arrêta, s’assit sur un quartier de roche, et, le menton appuyé