Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/65

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entrevu par la porte ouverte, on apercevait vaguement une femme qui poussait du pied une bercelonnette tout en filant son rouet. C’était le chef-d’œuvre de Petit-Pierre. Il était presque content de lui.

Tout à coup il aperçut une ombre sur son papier, l’ombre d’un tricorne qui ne pouvait appartenir qu’à M. le curé. En effet, c’était lui ; il observait en silence Petit-Pierre, qui rougit jusqu’à l’ourlet des oreilles d’être ainsi surpris en dessin flagrant. Le vénérable ecclésiastique, bien qu’il ne fût pas un de ces prêtres guillerets vantés par Béranger, était cependant un bon, honnête et savant homme. Jeune, il avait vécu dans les villes ; il ne manquait pas de goût et possédait quelque teinture des beaux-arts. L’ouvrage de Petit-Pierre lui parut donc ce qu’il était, fort remarquable déjà, et promettant le plus bel avenir. Le bon prêtre fut touché en lui-même de cette vocation solitaire, de ce génie inconnu qui répandait ses parfums devant Dieu, reproduisant avec amour, dévotion et conscience, quelques fragments de l’œuvre infinie de l’éternel Créateur.

— Mon petit ami, quoique la modestie soit un sentiment louable, il ne faut pas rougir comme cela. C’est peut-être un mouvement d’orgueil secret.