Aller au contenu

Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le député du département avait obtenu du ministère de l’intérieur un tableau de sainteté pour l’église de *** : le peintre, qui était un homme de talent soigneux de ses œuvres, accompagna sa toile et voulut choisir lui-même la place où elle serait suspendue. Naturellement il descendit au presbytère, et le curé ne manqua pas de parler au peintre d’un berger du pays qui avait beaucoup de goût pour le dessin et faisait de lui-même des croquis annonçant de merveilleuses dispositions. Le carton de Petit-Pierre fut vidé devant le peintre. L’enfant, pâle comme la mort, comprimant son cœur sous sa main pour l’empêcher d’éclater, se tenait debout à côté de la table. Il attendait en silence la condamnation de ses rêves, car il ne pouvait s’imaginer qu’un homme bien mis, bien ganté, un bout de ruban rouge à sa boutonnière, auteur d’un tableau entouré d’un cadre d’or, pût trouver le moindre mérite à ses charbonnages sur papier gris.

Le peintre feuilleta quelques dessins sans rien dire ; puis son front s’éclaira, une légère rougeur lui monta aux joues, et il s’adressait à lui-même de courtes phrases exclamatives en argot d’atelier.

— Comme c’est bonhomme ! comme c’est nature ! pas le moindre chic. Corot n’eût pas mieux fait ; voilà