Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/74

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figure, mais une petite portion de ce cou blanc semé de petits signes, et qui brillait comme une opale entre l’écharpe et le bord du chapeau, la lui fit reconnaître sur-le-champ avec cette sûreté de coup d’œil que l’habitude donne aux peintres. C’était bien elle : le deuil qu’elle portait faisait encore ressortir sa blancheur, et, dans le noir encadrement du chapeau, son profil fin et pur avait la transparence du marbre de Paros. Ce deuil troubla Petit-Pierre.

— Qui a-t-elle perdu ? son père, sa mère ?… ou bien serait-elle… libre ? se dit-il tout bas dans le recoin le plus secret de son âme.

Le paysage exposé par le jeune artiste représentait précisément le site dessiné par la dame, et pour lequel avaient posé lui, Fidèle, et ses moutons. Petit-Pierre, par une pensée d’amour et de religion, avait choisi pour sujet de son premier tableau l’endroit où il avait reçu la révélation de la peinture. La pente gazonnée, les bouquets d’arbres, les roches grises perçant çà et là le vert manteau de l’herbe, le tronc décharné et bizarre d’un vieux chêne frappé de la foudre, tout était d’une scrupuleuse exactitude. Petit-Pierre s’était peint appuyé sur son bâton, l’air rêveur, Fidèle à ses