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le collier des jours

du point brillant qu’a marqué dans ce lointain passé ce premier frisson de conscience.

Nous marchions le long des maisons, sur le boulevard des Batignolles, moi plus près des façades et tenant sa main droite. Peu avant d’arriver à l’impasse, une boutique très éclairée jetait, au travers du trottoir sombre, une bouffée de lumière. C’était une pâtisserie, et qui devait m’être familière, mais je ne la vois que cette fois-là.

J’étais gourmande et je savais qu’elle cédait toujours à mes volontés. L’étalage affriolant, parmi lequel je pouvais choisir, jetait un appel éclatant par toutes ses lampes ; pourtant, en passant dans la zone claire, je tournai la tête de l’autre côté et je tirai sur la main, hâtant le pas, pour en sortir plus vite. Je pensais : « Si elle croit que j’ai envie d’un gâteau, elle me l’achètera, et je ne veux pas, parce qu’elle est pauvre. »

Ce premier effort sur moi-même, ce voile d’égoïsme qui se déchirait, est certes une étape importante dans la marche lente de mon instinct d’enfant vers l’intelligence. Et la petite lumière, qu’alluma l’éclosion brusque de ce sentiment nouveau, ne s’est jamais éteinte.