Page:Gautier - Le Roman de la momie, Fasquelle, 1899.djvu/192

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d’elle. Sur ses lèvres entrouvertes, sa passion palpitait comme un oiseau qui veut prendre son vol ; et bas, bien bas, quand elle était sûre de ne pas être entendue, elle répétait comme une monotone cantilène : « Poëri, je t’aime. »

On était au temps de la moisson, et Poëri sortit pour inspecter les travailleurs. Tahoser, qui ne pouvait pas plus s’en détacher que l’ombre ne peut se détacher du corps, le suivit timidement, craignant qu’il ne lui enjoignît de rester à la maison ; mais le jeune homme lui dit d’une voix où ne perçait nul accent de colère :

« Le chagrin se soulage à la vue des paisibles travaux de l’agriculture, et, si quelque douloureux souvenir de la prospérité évanouie oppresse ton âme, il se dissipera au spectacle de cette activité joyeuse. Ces choses doivent être nouvelles pour toi : car ta peau, que n’a jamais baisée le soleil, tes pieds délicats, tes mains fines, l’élégance avec laquelle tu drapes le morceau d’étoffe grossière qui te sert de vêtement me montrent, à n’en pouvoir douter, que tu as toujours habité les villes, au sein des recherches et du luxe. Viens donc et assieds-toi, tout en tournant ton fuseau, à l’ombre de cet arbre où les moissonneurs ont suspendu,