Page:Gautier - Le Roman de la momie, Fasquelle, 1899.djvu/203

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Le courant, endormi en cet endroit, ne lui opposait pas beaucoup de résistance ; mais au milieu du fleuve, pour ne pas être emportée à la dérive, il lui fallut donner de vigoureux coups de pied à l’eau bouillonnante et multiplier ses brassées. Sa respiration devenait courte, haletante, et elle la retenait de peur que le jeune Hébreu ne l’entendît. Quelquefois, une vague plus haute lavait d’écume ses lèvres entrouvertes, trempait ses cheveux et même atteignait sa robe pliée en paquet : heureusement pour elle, car ses forces commençaient à l’abandonner, elle se retrouva bientôt dans des eaux plus calmes. Un faisceau de joncs qui descendait le fleuve et la frôla en passant lui causa une vive terreur. Cette masse d’un vert sombre, prenait, à travers l’obscurité, l’apparence d’un dos de crocodile ; Tahoser avait cru sentir la peau rugueuse du monstre, mais elle se remit de sa frayeur et se dit en continuant à nager : « Qu’importe que les crocodiles me mangent, si Poëri ne m’aime pas ? »

Le danger était réel, surtout la nuit ; pendant le jour, le mouvement perpétuel des barques, le travail des quais, le tumulte de la ville éloignent les crocodiles, qui vont, sur des rives moins fréquentées par l’homme, se vautrer dans la vase et