Page:Gautier - Le Roman de la momie, Fasquelle, 1899.djvu/267

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des hommes par les oëris, un sentiment inconnu est entré dans mon âme. Moi, que les désirs préviennent, j’ai désiré quelque chose ; j’ai compris que je n’étais pas tout. Jusque-là j’avais vécu solitaire dans ma toute-puissance, au fond de mes gigantesques palais, entouré d’ombres souriantes qui se disaient des femmes et ne produisaient pas plus d’impression sur moi que les figures peintes des fresques. J’écoutais au loin bruire et se plaindre vaguement les nations sur la tête desquelles j’essuyais mes sandales ou que j’enlevais par leurs chevelures, comme me représentent les bas-reliefs symboliques des pylônes, et, dans ma poitrine froide et compacte comme celle d’un dieu de basalte, je n’entendais pas le battement de mon cœur. Il me semblait qu’il n’y eût pas sur terre un être pareil à moi et qui pût m’émouvoir ; en vain de mes expéditions chez les nations étrangères je ramenais des vierges choisies et des femmes célèbres dans leur pays à cause de leur beauté : je les jetais là comme des fleurs, après les avoir respirées un instant. Aucune ne me faisait naître l’idée de la revoir. Présentes, je les regardais à peine ; absentes, je les avais aussitôt oubliées. Twéa, Taïa, Amensé, Hont-Reché, que j’ai gardées par le dégoût d’en chercher d’autres qui m’eussent le len-