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LE COLLIER DES JOURS

vité incomparable… C’était un enchaînement d’accords, très lents, qui semblaient s’envoler d’une harpe plutôt que d’un piano : une harmonie lointaine, mystérieuse, surnaturelle… J’ai constaté, plus tard, que c’était la première esquisse de l’évocation d’Erda par Wotan, au troisième acte de Siegfried, quand la déesse monte des profondeurs de la terre, pâle, les yeux clos, toute couverte de rosée…

Après quelques instants, le silence se fit, et bientôt Wagner parut, entre les plis soyeux des portières relevées.

Il était calme, la face auréolée de ses cheveux d’argent, et ses larges prunelles dardant un rayon plus lumineux encore que d’habitude.

Il m’aperçut, figée sur ma chaise.

— Ah ! dit-il, vous étiez là ?… sage comme une image, car je n’ai rien entendu.

— Pensez donc, Maître, quelle terreur, et quelle extase !… Surprendre Dieu dans sa création !…

— Je vous l’ai déjà dit, il ne faut pas être si enthousiaste ! s’écria-t-il en riant. Cela nuit à la santé.

— Cela fait vivre double au contraire !…

— Eh bien, venez… Moi aussi, j’ai été sage :