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LE TROISIÈME RANG DU COLLIER

longtemps qu’une flamme qui s’interpose entre vos regards et toutes choses. C’était ainsi : la face du Maître me masquait la nature, je ne voyais qu’elle. Je me souviens très bien que les rayons obliques du soleil levant enveloppaient Wagner et posaient une lumière sur sa lèvre inférieure ; cette lumière scintillait à chaque inflexion et ses paroles semblaient des étoiles.

Je l’avais interrogé à propos de Mendelssohn : les œuvres de Mendelssohn exerçaient sur moi une séduction qui durait malgré mon exclusivisme wagnérien, ce dont j’avais un peu honte.

— Mendelssohn est un grand paysagiste, me disait-il, et sa palette est d’une richesse sans pareille. Personne comme lui ne transpose en musique la beauté extérieure des choses. La grotte de Fingal, entre autres, est un tableau admirable. Il est savant, consciencieux et habile. Pourtant il n’arrive pas, malgré tous ces dons, à nous émouvoir jusqu’au fond de l’âme : on dirait qu’il ne peint que l’apparence du sentiment, et non le sentiment lui-même…

On devait atteindre, avant midi, une auberge où l’on essaierait de déjeuner ou plutôt de dîner à l’allemande. Là on abandonnerait les voitures