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LE COLLIER DES JOURS

Était-ce parce qu’on nous savait amis de Richard Wagner et que la retraite, si jalousement close dans laquelle il vivait, s’était ouverte pour nous ? Certes aucune gloire ne nous paraissait plus enviable et notre juste orgueil égalait notre joie ; mais pourquoi troublions-nous à ce point la population placide de Lucerne ? Est-ce qu’il émanait de nous un nimbe lumineux, visible au commun des mortels ?

Quand nous nous envolions, en bateau, vers le cap de Tribschen, des nuées de voiles, qui se croyaient discrètes, se détachaient du rivage pour nous escorter de loin et, tant que nous restions chez notre hôte illustre, elles croisaient tout autour de la propriété, s’en approchant le plus possible.

Nous avions raconté au Maître et à madame Cosima ces singularités et ils en étaient aussi intrigués que nous. Parfois nous sortions dans le jardin pour examiner à travers les arbres toutes ces barques, pleines de touristes, qui s’acharnaient à demeurer là, dans une attente incompréhensible.

La chose finit cependant par s’expliquer. Madame Cosima, en allant un jour à Lucerne conduire Senta prendre sa leçon de piano, ren-