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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

chit vivement les dernières marches de l’escalier et s’approcha du chariot pour accomplir ses devoirs de cavalier servant, le poing tendu, le pied avancé en danseur. D’un mouvement leste et coquet comme celui d’une jeune chatte, la soubrette s’élança au bord du char, hésita un instant, feignit de perdre l’équilibre, entoura de son bras le col du marquis et descendit à terre avec une légèreté de plume, imprimant à peine sur le sable ratissé la marque de ses petits pieds d’oiseau.

« Excusez-moi, dit-elle au marquis, en simulant une confusion qu’elle était loin d’éprouver, j’ai cru que j’allais tomber et je me suis retenue à la branche de votre col ; quand on se noie ou qu’on tombe, on se rattrape où l’on peut. Une chute, d’ailleurs, est chose grave et de mauvais augure pour une comédienne.

— Permettez-moi de considérer ce petit accident comme une faveur, » répondit le seigneur de Bruyères, tout ému d’avoir senti contre son sein la poitrine savamment palpitante de la jeune femme.

Sérafina, la tête à demi tournée sur l’épaule et la prunelle glissée dans le coin externe de l’œil, avait vu cette scène presque de dos, avec cette perspicacité jalouse des rivales à qui rien n’échappe, et qui vaut les cent yeux d’Argus. Elle ne put s’empêcher de se mordre la lèvre. Zerbine (c’était le nom de la Soubrette), par un coup familièrement hardi, s’était poussée dans l’intimité du marquis et se faisait, pour ainsi dire, faire les honneurs du château au détriment des grands rôles et des premiers emplois ; énormité