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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

proclame l’honneur, et telle toile de frise ou de Hollande toute neuve et godronnée à la dernière mode de la cour cache souvent l’infamie d’un bélître parvenu, concussionnaire et simoniaque ; plusieurs héros considérables, dont l’histoire rapporte au long les gestes, n’étaient point trop bien fournis en linge, témoin Ulysse, personnage grave, prudent et subtil, lequel se présenta, vêtu seulement d’une poignée d’herbes marines, à la tant belle princesse Nausicaa, comme il appert en l’Odyssée du sieur Homérus.

— Par malheur, répondit Sigognac au Pédant, mon cher Blazius, je ne ressemble à ce brave Grec, roi d’Ithaque, que par le manque de chemises. Mes exploits antérieurs ne compensent point ma misère présente. L’occasion a fait défaut à ma vaillance, et je doute que je sois jamais chanté des poëtes, en vers hexamétriques. J’avoue que cela me fâche étrangement, bien que l’on ne doive pas avoir vergogne d’une pauvreté honorable, de paraître ainsi accoutré parmi cette compagnie. Le marquis de Bruyères m’a bien reconnu, quoiqu’il n’en ait fait montre, et il peut trahir mon secret.

— Cela est, en effet, on ne peut plus fâcheux, répliqua le Pédant, mais il y a remède à tout, fors à la mort, comme dit le proverbe. Nous autres, pauvres comédiens, ombres de la vie humaine et fantômes des personnages de toute condition, à défaut de l’être, nous avons au moins le paraître, qui lui ressemble comme le reflet ressemble à la chose. Quand il nous