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LE CAPITAINE FRACASSE.

dames raffoleront de vous incontinent ; car, soit dit sans faire injure à la cuisine de Sigognac, vous avez assez jeûné dans votre Tour de la Faim pour avoir la vraie physionomie d’un mourant d’amour. Les femmes ne croient qu’aux passions maigres ; les ventripotents ne les persuadent point, eussent-ils en la bouche les chaînes dorées, symboles d’éloquence, qui suspendaient nobles, bourgeois, manants, aux lèvres d’Ogmios, l’Hercule gaulois. C’est pour cette raison et non pour une autre que j’ai médiocrement réussi auprès du beau sexe et me suis rejeté de bonne heure sur la dive bouteille, laquelle ne fait point tant la renchérie et accueille favorablement les gros hommes, comme muids de capacité plus vaste. »

C’est ainsi que l’honnête Blazius tâchait d’égayer, tout en l’habillant, le baron de Sigognac, car la volubilité de sa langue n’ôtait rien à l’activité de ses mains ; même au risque d’être taxé de bavard ou de fâcheux, il préférait étourdir le jeune gentilhomme d’un flux de paroles à le laisser sous le poids de réflexions pénibles.

La toilette du Baron fut bientôt achevée, car le théâtre, exigeant des changements rapides de costume, donne beaucoup de dextérité aux comédiens en ces sortes de métamorphoses. Blazius, content de sa besogne, mena par le bout du petit doigt, comme on mène une jeune épousée à l’autel, le baron de Sigognac devant la glace de Venise posée sur la table et lui dit : « Maintenant daignez jeter un coup d’œil sur Votre Seigneurie. »