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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

n’en soient pas dupes, par le piquant du contraste. Le marquis regardait la Soubrette d’un œil ardent et connaisseur, et n’accordait aux autres femmes que cette vague politesse de l’homme bien élevé qui a fait son choix.

« Il ne s’est pas seulement informé du rôle de la grande coquette, pensait la Sérafine outrée de dépit ; cela n’est pas congru, et ce seigneur, si riche de bien, me semble terriblement dénué du côté de l’esprit, de la politesse et du bon goût. Décidément il a les inclinations basses. Son séjour en province l’a gâté, et l’habitude de courtiser les maritornes et les bergères lui ôte toute délicatesse. »

Ces réflexions ne donnaient pas l’air aimable à la Sérafine. Ses traits réguliers, mais un peu durs, qui avaient besoin pour plaire d’être adoucis par la mignardise étudiée des sourires et le manège des clins d’yeux, prenaient, ainsi contractés, une sécheresse maussade. Sans doute elle était plus belle que Zerbine, mais sa beauté avait quelque chose de hautain, d’agressif et de méchant. L’amour eût peut-être risqué l’assaut. Le caprice effrayé rebroussait de l’aile.

Aussi le marquis se retira-t-il sans essayer la moindre galanterie auprès de donna Sérafina, ni d’Isabelle, qu’il regardait d’ailleurs comme engagée avec le baron de Sigognac. Avant de franchir le seuil de la porte, il dit au Tyran : « J’ai donné des ordres pour qu’on débarrassât l’orangerie, qui est la salle la plus vaste du château, afin d’y établir le théâtre ; on a dû y porter des planches, des tréteaux, des tapisseries, des