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LE CAPITAINE FRACASSE.

l’endroit indiqué, où, pour vous raconter ceci, nous l’avons laissé faisant le pied de grue.

La fièvre de l’attente et aussi la fraîcheur nocturne lui causaient des frissons nerveux. Il tressaillait à la chute d’une feuille, et tendait au moindre bruit une oreille exercée à saisir au vol le murmure du souffleur. Le sable criant sous son pied lui semblait faire un fracas énorme qu’on dut entendre du château. Malgré lui, l’horreur sacrée des bois l’envahissait et les grands arbres noirs inquiétaient son imagination. Il n’avait pas peur précisément, mais ses idées prenaient une pente assez lugubre. La marquise tardait un peu, et Diane laissait trop longtemps Endymion les pieds dans la rosée. À un certain instant il lui sembla entendre craquer une branche morte sous un pas assez lourd. Ce ne pouvait être celui de sa déesse. Les déesses glissent sur un rayon et elles touchent terre sans faire ployer la pointe d’une herbe.

« Si la marquise ne se hâte pas de venir, au lieu d’un galant plein d’ardeur, elle ne trouvera plus qu’un amoureux transi, pensait Léandre ; ces attentes où l’on se morfond ne valent rien aux prouesses de Cythère. » Il en était là de ses réflexions, lorsque quatre ombres massives se dégageant d’entre les arbres et de derrière le piédestal de la statue, vinrent à lui d’un mouvement concerté. Deux de ces ombres qui étaient les corps de grands marauds, laquais au service du marquis de Bruyères, saisirent les bras du comédien, les lui maintinrent comme ceux des captifs qu’on veut lier, et les deux autres se mirent à le